Les cendrières de Vendeuil

De tous les engrais dont se servent les cultivateurs de ce département, les cendres minérales connues sous le nom de cendres noires, ou terres pyriteuses, sont, dans notre climat, un puissant engrais : bien dirigé, il fait merveille. Non seulement ces cendres assurent et augmentent la récolte sur laquelle elles sont semées, mais elles influent beaucoup sur celle qui doit suivre immédiatement et même sur la troisième.

Le département de l'Aisne vient de s'enrichir de nouvelles cendrières, appartenant à M. le général baron de Galbois, commandant de ce département. Elles sont situées à l'entrée de ses bois de Vendeuil, près de la route royale de St-Quentin à La Fère. Mais M. le général de Galbois, pour faciliter le charroi de ses cendres et pour que le cultivateur puisse aller en chercher en toute saison, a fait faire un dépôt de cendres noires et rouges sur la grande route même, à l'entrée du chemin de Moy. Il a fait construire de vastes écuries, où les cultivateurs pourront héberger leurs chevaux. Rien ne manque à ce nouvel établissement, bien précieux pour l'agriculture, par la qualité des cendres, qui sont excellentes, par leur prix qui est très modique, et par la facilité du charroi. Elles coûtent 5 centimes la boîte, et pour 10 frs, vous avez une bonne voiture de 5 à 6 chevaux et pesant environ 6 000 livres.

J'ai fait différentes épreuves pour m'assurer si les cendres nouvellement découvertes par la général, étaient égales en qualité avec celles du voisinage et avec celles qui viennent à Saint-Quentin, par le canal, et qui coûtent plus cher.

J'ai reconnu que toutes ces cendres avaient à peu près les mêmes qualités fertilisantes, et qu'il faut employer les rouges de préférence, pour les prairies artificielles, destinées au paturage des bêtes à laine.

Pour m'assurer de l'efficacité de cet engrais, j'ai fait semer dans le mois dernier, des cendres provenant des mines du général, sur la moitié d'une pièce de terre empouillée en lupuline (vulgairement nommée minette), de la contenance de deux hectares ; l'autre moitié n'a pas été cendrée. Aujourd'hui la partie qui a reçu des cendres est verte, et de la plus belle espérance ; les tiges ont deux pouces de plus que l'autre partie, qui est jeune et commence à fleurir ; de qui annonce qu'elle ne croîtra plus guère et que la récolte sera inférieure de moitié, comparée avec celle qui a reçu des cendres.

Les bienfaits de cet engrais sont présentement bien connus dans nos cantons, et les cultivateurs sont tous convaincus qu'il est pour eux d'une nécessité indispensable. Ma consommation est doublée, surtout depuis la découverte de cendres du général de Galbois. J'employais il a quelques années environ 6 voitures de cendres, aujourd'hui cela va à douze.

L'espérience que j'ai faite sur les feverolles est aussi décisive. La différence est au moins d'un tiers à l'avantage des récoltes cendrées, avec celles qui ne le sont pas. Il en est de même de toutes les plantes auxquelles cet engrais convient et elles sont en grand nombre :

Toutes les prairies naturelles  toutes les prairies artificielles (luzernes, sainfoin, trèfle, lupuline, etc.), les vesces d'automne et de printemps, les féverolles, etc., semées sur les colzas, à la naissance des permières feuilles, elles activent la végétation et tuent les pucerons qui souvent nuisent beaucoup à cette plante.

D'après cet exposé on ne peut plus douter de la grande consommation qui se fait et qui se fera de plus en plus des cendres minérales, de l'immense avantage qu'elles procurent aux cultivateurs de ce département.

Elles entrent encore dans les composts mélées avec les résidus de betteraves, et autres parties qui peuvent entrer dans ce mélange, par le moyen on obtient un engrais très actif.

Guise, le 15 mai 1833
BESSON
Propriétaire-cultivateur,
membre correpondant du conseil supérieur d'agriculture pour l'arrondissement de Vervins.

Le général Galbois a rendu un imminent service à l'agriculture, ce qui est loin de nous étonner par ceux qu'il a déjà rendus en mettant les cultivateurs à même de se procurer des cendres noires à des prix modérés. La plus part d'entre eux employaient anciennement une petite quantité de cendres pour engrais, et beaucoup de petits fermiers n'en faisaient pas du tout usage ; tandis qu'aujourd'hui ceux de ces derniers qui habitent dans les environs des cendrières du général, viennent en foule acheter des cendres, et par ce moyen tireront un bien meilleur parti de leur terre, ce qui améliorera nécessairement leur position. On voit aussi par les notes de M. BESSON, que les grands cultivateurs ont déjà employé moitié plus de cendres cette année que dans les années précédentes ; ils augmentent leur productions avec une dépense très minime, puisque 100 fr de cendres représentent plus de 300 francs d'engrais ordinaire en donnant bien moins d'embarras.

Les cendres noires de notre département sont bien dupérieures, et moins chères que les cendres tourbeuses que le département du Nord était dans l'usage de tirer de la Hollande ; aussi vient-il depuis quelque temps, beaucoup de voitures des environs de Cambrai et de Landrecies aux cendrières de Vauclair et de Ly-Fontaine, appartenant au général Galbois ; et quand le canal de la Sambre à l'Oise sera fait, ces usines auront plus de débouchés ; l'agriculture s'en ressentira beaucoup dans la vallée de l'Aisne, ainsi que dans le Nord.

Notre département commence à exporter des cendres noires assez loin : la Haute Picardie en fait venir beaucoup à Amiens et à Abbeville par les canaux, quelques bateaux chargés de cendres ont descendu déjà la rivière d'Aisne, pour transporter ce puissant engrais à Rouen, d'où il sera envoyé à Nantes.

Ces cendres sont destinées à être mélées aux résidus provenant des sucreries de bettteraves, afin de faire, par ce moyen, des composts qui seront d'un grand prix pour l'agriculture.

Journal de l'Aisne du 25 mai 1833