D'après un article paru dans
La voix du nord des dimanche 18 et lundi 19 avril 1965
Son verre n'est pas grand, mais il boit dans son verre, le vin de sa propre vigne.
Vigneron, même sans autre appellation contrôlée...
Un bien beau métier !
Vigneron, après avoir été souffleur dans une verrerie... Encore mieux !
Tout le monde ne peut pas se vanter de connaître le double secret de fabriquer les verres et ... le vin.
Vigneron à 88 ans... Tout simplement étonnant !
On pense à Noé et quel encouragement pour les buveurs !
Ils n'ont jamais eu la preuve plus irréfutable que la seule eau de jouvence était... le jus de la treille.
Précisons tout de même pour couper court à toute polémique, que M. Pierre MEURET ne boit jamais plus de deux verres de vin par jour.
Cet octogénaire, ancien souffleur de verre qui à l'âge où les autres songent au repos, a planté une vigne, habite à Vendeuil.
Le plus extraordinaire dans son histoire, c'est peut-être justement qu'il habite à Vendeuil.
Il aurait lancé son entreprise entre Reims et Epernay, les habitants l'auraient pris pour un original. "Passe encore de cueillir mais planter à cet âge !
M. MEURET a planté sa vigne à Vendeuil, voilà bien le comble !
Vendeuil, pour la betterave, la terre y est idéale mais pour la vigne, autant y faire pousser du riz ou du manioc.
Il fallait au moins un coteau exposé au Midi de Vendeuil, qui s'étire sur un versant en pente douce de la vallée de l'Oise, ne manque pas de coteaux et le mieux exposé se trouvait au bout du jardin de M. MEURET.
En bon jardinier qu'il est, le retraité se désolait de laisser cet arpent en friche. Parce qu'il ne pouvait y faire pousser des salades, M. MEURET acheta quelques pieds de gros plant et sans trop y croire se fit viticulteur.
L'expérience réussit et l'octobre d'après, il y eut une petite vendange à Vendeuil. Cela se passait il y a une décade et depuis, bon an mal an, M. MEURET soigne sa vigne et récolte son raisin. Sa production suffit tout juste à sa consommation. D'autant plus qu'il y a trois ans, les fortes gelées ont détruit plus de la moitié de la plantation.
Ainsi, grâce à M. MEURET, il existe tout de même un crû de Picardie.
Or le plus étonnant dans sa réussite, c'est qu'elle n'a rien d'étonnant car, sans le savoir, l'octogénaire, pour occuper ses vieux jours a fait renaître une culture qui faisait il y a mille ans le renom de la cité.
Les études historiques l'ont prouvé et un rapport présenté naguère par M. JOURNEL à la société académique de Picardie, l'a confirmé : les coteaux de Vendeuil abritaient aux alentours de l'an mille et avant, les vignobles les plus réputés du royaume.
A cette époque, le Bordelas, la Bourgogne et encore moins la Champagne n'avaient acquis leur célébrité dans ce domaine. Et l'on disait du "Vendeuil" comme on dit aujourd'hui du "Bordeaux" ou du "Bourgogne".
Charlemagne le préférait à tous les autres. Les Capétiens en réchauffaient leur palais.
Que valait-il ce vin, digne de remplir la coupe de l'empereur d'Occident ? Bien difficile à dire ! Le goût peut varier autant que la mode vestimentaire au fil des siècles.
M. MEURET, quant à lui, est trop lucide, trop modeste pour attribuer à son vin un aussi haut mérite.
"Vous pensez bien, dit-il, que ce n'est pas avec du gros plant que l'on peut faire des merveilles, d'autant plus que le terrain ici est très calcaire... Moi, vous savez, je n'ai pas de prétention, mon rôle de vigneron se borne à me procurer une boisson et à me distraire."
Disons simplement que la "distraction" de M. MEURET, un peu poivrée, un peu jeune aussi, ne manque tout de même pas de saveur.
En fait de "distraction", l'octogénaire n'en manque pas, car en plus du vin, M. MEURET fabrique du cidre et de l'hydromel.
Ce qui revient à dire que ses vieux jours sont à l'image de sa cave : bien remplis.
On se dégoûte pourtant du vin de pays. Au temps de Chabaud, en 1775, l'on consommait bien encore le vin de Vendeuil mais on lui trouvait trop de verdeur et on ne le buvait qu'après cuisson ; les hommes s'amollissaient. On prenait ainsi une cuite, c'est-à-dire une potée cuite.
Le livre des dépenses du baron d'Amerval en 1780 (dont M. André Fleury nous procure un extrait) nous permet de suivre la consommation du vin jusqu'au XIX°siècle. Le baron, dédaignant les crus locaux, s'approvisionnait ą l'abbaye de Corbeny et y payait son vin cent livres la pièce ou à peu près. Voiturier compris, ainsi que le barage (péage selon Ducange), droits de ville, descente à la vae et ayde - dont je ne suis pas exempt, écrit-il avec amertume - six pièces lui revenaient à 710 livres 5 sous.
Il achetait d'autre part de l'alicante et du malaga à 4 livres 9 sous le pot. Le pot valait deux bouteilles et demie. Il achetait également de la bière à 9 livres 10 sous le tonneau, dont la descente à la cave valait 6 sous.
Un inventaire de ferme en 1787 à Bony-Maquincourt mentionne encore à cette date "une demi-pièce de vin de Laon" car le vignoble laonnois résistait davantage. Mais en 1820 le propriétaire de la même ferme achète chez Place, à Paris, une demi-pièce de Mâcon rouge. On devient difficile sur l'article.
A ce moment le particularisme économique et alimentaire était en voie de disparition comme les autres particularismes provinciaux.
Depuis, nous n'avons plus de vignoble autour de Saint-Quentin, si ce n'est une vigne de quelques verges que maintient à Vendeuil son vigneron en témougnage de l'ancienne renommée de la commune.
Ch. Journel (histoireaisne.fr)